Premières tentatives de contrôle salarial des entreprises
Article mis en ligne le 8 juin 2012

Par Jan Malewski, rédacteur d’Inprecor, est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale et militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France).

Dix-sept journées de grève générale, des multiples manifestations parmi les plus massives dans l’histoire du pays, des affrontements de rue, des occupations des places par les « indignés », une radicalisation de la population et une perte de légitimité des partis traditionnels, du parlement et des gouvernements successifs — voilà deux ans que non seulement les salariés mais aussi une partie importante des « classes moyennes » sont mobilisés contre les mesures d’austérité des gouvernements successifs — d’abord celui du Pasok (qui fait partie de l’Internationale socialiste) dirigé par Géorgios Papandréou, puis celui « d’unité nationale » imposé par la « troïka » (Union européenne, Fonds monétaire international et Banque Centrale européenne), dirigé par Loukás Papadímos, ancien gouverneur de la Banque de Grèce et ancien vice-président de la BCE.

Après le premier « mémorandum » ordonné par la troïka en mai 2010, qui a provoqué une forte récession (la Commission européenne estime, pour la sixième année consécutive, la contraction de l’activité en 2012 à 4,4 %, en 2011 elle a été de 6,8 %), un second mémorandum, encore plus draconien, a été imposé et adopté par le Parlement grec en février 2012 (voir encadré) et le FMI laisse entendre qu’un troisième plan « de sauvetage » serait sans doute nécessaire dès 2015.

Selon le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, il s’agirait d’un « grand pas en avant sur la voie de la stabilisation et de la consolidation d’une dette gérable, qui donne à la Grèce une chance historique ». Le Financial Times — un quotidien qui s’adresse aux financiers internationaux — écrit pour sa part : « Un mythe est en train de se développer, selon lequel les créanciers privés accepteraient des pertes significatives dans le cadre de la restructuration de la dette de la Grèce, tandis que les créanciers officiels (BCE, FMI…) seraient dédouanés de tout effort. (…) La réalité est que les créanciers privés ont obtenu un accord très avantageux, tandis que l’essentiel des pertes actuelles et futures a été transféré vers les créanciers officiels. » 

Les puissantes mobilisations populaires des dernières années n’ont pas permis de stopper l’agression capitaliste. Tant la « troïka » que ses vassaux grecs ont décidé de ne pas tenir compte de l’opinion publique. Alors que des élections législatives doivent avoir lieu en mai 2012, l’UE a déjà prévenu que, quel que soit le résultat, le programme imposé ne pourrait pas être remis en cause… Bref, les protestations habituelles ne servent à rien, les règles de jeu ayant été unilatéralement changées !

C’est dans cette situation que des nouvelles formes de lutte commencent à éclore :

  • Les journalistes du quotidien Eleftherotypia, dont les salaires ne sont plus payés depuis l’été 2011, ont décidé de publier un « Eleftherotypia des travailleurs ». Ils ont réussi à faire paraître et à vendre, à plus de 30.000 exemplaires, déjà deux numéros de ce nouveau journal, pour financer leur grève d’occupation .
  • Les salariés de l’hôpital général de Kilkis ont non seulement occupé leur lieu de travail, mais ont pris la décision d’en contrôler le fonctionnement, annonçant fièrement qu’ils soigneront gratuitement ceux qui ont besoin de soins. Mais après que plusieurs assemblées générales aient confirmé cette orientation , l’intervention des directions syndicales — en particulier du syndicat des médecins — a divisé les occupants et leur expérience a été suspendue, la majorité des médecins s’étant opposée à la poursuite de l’occupation. Mais l’exemple donné par les salariés de Kilkis a déjà inspiré d’autres hôpitaux : des actions d’occupation de 2-3 jours ont eu lieu à l’hôpital Rethymmo en Crète (les occupants ont séquestré le directeur durant 24 h), à l’hôpital Karystos en île d’Eubée, à l’hôpital de Mitilini à Lesbos, à l’hôpital Nikaria au Pirée…
  • Dans les quartiers et les villages, des comités d’habitants ont fait leur apparition. Ils prennent en main les tâches que les administrations ne sont plus capables d’assurer, comme la nourriture. Si leur développement et leurs débats sont souvent paralysés par les divergences entre les militants des nombreuses organisations de gauche et si leur coordination régionale et nationale n’est pas encore en cours, il s’agit là d’un début de tentative citoyenne de prendre en main ses affaires.

Ces nouvelles formes de lutte, qui démontrent que les salariés n’ont pas besoin de patrons pour effectuer leur travail, sont encore peu nombreuses et hésitantes. Elles se heurtent aux habitudes et à la routine des organisations historiques du mouvement ouvrier. Elles indiquent pourtant la voie : contre un pouvoir du capital qui a montré son incapacité à gérer la société, il faut construire un autre pouvoir, le coordonner à l’échelle du pays et opposer ce pouvoir d’en bas à celui imposé d’en haut, par la troïka…