Interview de Francois Morin
" L’ hydre mondiale "
Article mis en ligne le 8 septembre 2015

par Universite Populaire Toulouse

L’Université Populaire de Toulouse, les Amis du Monde Diplomatique et Espace Marx invitent François Morin le mardi 15 septembre à 20H30 au Bijou pour une conférence-débat autour de son dernier ouvrage " L’hydre mondiale " .

Certaines banques ont une réputation plus sulfureuse que d’autres, par exemple HSBC dépositaire de l’or de Pinochet ou au cœur de scandales plus récents, peut-on faire un distinguo parmi les 28 banques systémiques présentées dans l’ouvrage ou autrement dit, certaines sont-elles plus "respectables" que d’autres ?

Plusieurs distinctions peuvent être faites. Parmi les 28 banques systémiques, seules 4 appartiennent à la sphère asiatique (3 japonaises et 1 chinoise), autrement dit les grands acteurs de la finance globalisée sont essentiellement occidentaux. Ensuite, seulement 14 de ces banques fabriquent la quasi totalité des produits dérivés vendus dans le monde ; or ces produits, censés être des produits de couverture, sont aussi des produits hautement spéculatifs, à tel point qu’ils ont été à l’origine de toutes les crises systémiques que le monde a connu depuis le milieu des années 1990. Enfin, parmi les 28 banques de l’oligopole, seules 11 d’entre elles en forment le noyau central, soit en raison de leur taille, de leurs positions dominantes ou encore de leurs implications récentes dans les manipulations de marché. Parmi elles, se distinguent de ce point de vue des banques comme Barclays, Citigroup, Deutsche Bank, HSBC, JP Morgan Chase, Royal Bank of Scotland et UBS.

Quatre banques françaises sont au cœur du système (BNP, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE). Qu’est-ce qui explique cette sur-représentation par rapport à de nombreux autres pays ? Peut-on faire un lien avec l’accélération de la financiarisation de l’économie française au détriment de l’investissement productif et de l’emploi ?

Plusieurs raisons expliquent le gigantisme des 4 banques systémiques françaises. Les réformes du système bancaire français introduite au milieu des années 1980 ont favorisé le modèle dit de la « banque universelle » selon lequel toutes les activités touchant la finance peuvent être regroupées : les activités de dépôts-crédit d’un côté et les activités concernant les marchés financiers de l’autre. Ensuite la France est un pays très centralisé où la politique économique a toujours favorisé la pratique des champions nationaux de grande taille, cela a été vrai dans l’industrie comme dans la banque. En Allemagne, pays fédéral, il n’y a qu’une seule banque systémique, la Deutsche Bank, les autres banques sont de dimension régionale.
Avec la globalisation des marchés financiers intervenue au milieu des années 1990 grâce notamment à la libéralisation complète des mouvement de capitaux à l’échelle internationale, trois banques françaises ont choisi d’ouvrir leur capital aux grands investisseurs internationaux : BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale. Mais cela a concerné aussi de grands groupes industriels. Cette arrivée des grands investisseurs internationaux dans le capital des firmes et notamment des banques a été un puissant facteur de financiarisation de l’économie française. Le choc sur le marché du travail et sur l’organisation du travail dans les entreprises a été alors considérable.

Quel organisme ou quelle structure au niveau international serait à même de supporter une remise en cause de l’oligopole bancaire et de la suprématie du dollar (G7, G8, G20, FMI, ONU) ? Ce changement pourrait-il se faire de manière concertée ou ne pourra-t-il être que l’issue contrainte d’une nouvelle crise internationale ?

Rappelons que la dernière grande réforme du système monétaire international est intervenue à Bretton-Woods en 1944 et a permis à la planète de ne connaître aucune crise monétaire ou financière pendant le période des trente glorieuses. Mais cette réforme n’a pu intervenir qu’après deux guerres mondiales et 250 millions de morts. Il faut évidemment souhaiter que nos responsables politiques puissent aujourd’hui avoir le courage de réagir rapidement face aux désordres financiers actuels et à l’omnipotence dévastatrice de l’oligopole bancaire mondial. Le meilleur moyen serait de réformer une nouvelle fois notre système monétaire international. Pour l’instant, cette réforme n’est nullement inscrite dans l’agenda des rencontres internationales, car à chaque fois qu’une telle idée est émise, les américains refusent de l’envisager. Pour eux, une telle réforme modifierait en effet le statut actuel du dollar américain comme monnaie de réserve internationale.

Dans un interview à Libération du 23 juillet, vous évoquez la possibilité de l’explosion de plusieurs bulles financières dont celle de la dette publique. Comment faut il comprendre dès lors la politique austéritaire imposée à la Grèce dès lors qu’on admet que cette dette résulte d’un transfert des dettes privée (pour l’essentiel) vers les états ? Que ce passe t’il si bulle de la dette publique explose ?

Ce qui s’est passé en Grèce en mai 2010 et en mars 2012, lors des premiers plans d’aide de la Troïka, est identique à ce qui est arrivé dans les pays développés après la crise financière de 2007-2008 : un transfert massif de créances douteuses (ou potentiellement toxiques) des banques, principalement de celles de l’oligopole, vers des institutions publiques (Etats, Banques centrales, FMI, Mécanisme Européen de Stabilité). Le résultat de ces transferts, mais aussi des récessions économiques comme des plans de soutien à l’activité a été une aggravation brutale et considérable des déficits budgétaires et, par conséquent, des dettes publiques dans le monde entier. Partout, on observe actuellement des niveaux records du rapport dette publique/PIB. Et cette évolution ne fait qu’empirer au fil du temps en raison des déficits persistants et de croissances économiques atones. Il s’est formé ainsi sur les marchés financiers une bulle gigantesque qui ne peut qu’exploser. Cette explosion aura pour conséquence un effondrement de la valeur des titres correspondants (des obligations) avec pour effet induit un nouveau cataclysme financier à l’échelle du monde entier.

La question a du être posée maintes fois, mais comment les états ont il pu devenir les otages de ces banques au point d’être mis à mal par ces mêmes banques ?

Plusieurs facteurs se sont conjugués pour arriver à cet état de soumission. Tout d’abord la rupture du lien entre le dollar et l’or en 1971 ouvre la voie à la libéralisation de la sphère financière qui va se poursuivre jusqu’au milieu des années 1990. Ce qui se passe en 1971 est lié à la fois à des facteurs économiques : la récession de l’économie américaine suite aux conséquences de la guerre du Vietnam et qui fait que l’or américain quitte les Etats-Unis. Mais aussi à des facteurs idéologiques. La pensée néolibérale prêchait déjà depuis la fin des années 1940 la fin de l’interventionnisme économique des Etats. Une des mesures constamment avancée par cette idéologie était précisément la libéralisation de la sphère financière. Dès lors, à partir de 1971, la voie était ouverte pour que les Etats se dessaisissent progressivement de leur souveraineté monétaire au profit des banques et des banques centrales devenues indépendantes. La monnaie est désormais un bien privé à travers sa création et la formation de ses principaux prix (taux de change et taux d’intérêt). N’étant plus souverain sur le plan monétaire, les Etats sont contraints en permanence à l’équilibre de leurs finances publiques sous l’œil des marchés financiers. De plus, ils doivent veiller à ce que les plus grandes banques, celles qui sont systémiques, ne fassent pas défaut au risque sinon d’une nouvelle crise financière. Les Etats sont ainsi devenus les otages des marchés financiers et de l’oligopole bancaire.

On vient de le voir, le gouvernement Grec a mis un genoux à terre devant les financiers, le soutien au peuple grec s’il s’est manifesté un peu partout en Europe n’a pas suffit pour desserrer l’étau.Quelle forme concrète devrait prendre une résistance citoyenne pour mettre un terme aux dictats des instance européennes ?

En Grèce, les contradictions entre les principaux protagonistes sont portées aujourd’hui à incandescence. Deux camps s’opposent : les allemands et plusieurs pays du Nord de l’Europe défendent l’idée du Grexit selon une logique économique qui a sa relative cohérence. Estimant la dette grecque insoutenable, ces pays défendent l’idée qu’avec la sortie de la Grèce de la zone euro, il y aura certainement une forte dévaluation de la nouvelle monnaie et dans la foulée une restructuration sévère de la dette. Mais, et c’est là le point central, une fois en dehors de la zone euro, la Grèce ne pourra plus faire alors appel à l’aide européenne.
De l’autre côté, les partisans du maintien de la Grèce dans la zone euro ont jusqu’à présent eu gain de cause. Ils avancent deux arguments principaux, le premier, politique, est largement mis en avant, le second, financier, est resté à chaque fois un peu en deçà. En effet, les partisans du maintien de la Grèce dans la zone euro ne manque pas de rappeler que la Grèce est historiquement le pays européen fondateur de la démocratie et que son éviction de la zone euro porterait un coup fatal à l’idée même d’une Europe politique ; il faut donc protéger la zone euro et montrer que la solidarité entre les pays de l’eurozone n’est pas un vain mot. Quant à l’argument financier, il consiste à évoquer le risque de contagion à d’autres pays européens si la Grèce sort de la zone euro ; les marchés pourraient spéculer sur les pays endettés avec pour effet le démantèlement de la zone euro et par conséquent de la construction européenne.
Cette contradiction est inextricable et il y a tout lieu de penser que d’autres plans d’aide seront nécessaires sous l’œil de marchés financiers tétanisés.
Le combat que mène ainsi le peuple grec pour sortir de son guêpier est ainsi le nôtre, car très clairement la démocratie est aujourd’hui pour nos pays à l’épreuve de la globalisation financière.


Francois Morin
est professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Toulouse, François Morin a été membre du conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique. Il a notamment publié Un monde sans Wall Street (Seuil, 2011) et La grande saignée (Lux, 2013).