Interview de Pierre-Yves Serinet
Article mis en ligne le 17 novembre 2015

par Universite Populaire Toulouse

A l’occasion de la réunion STOP TAFTA du jeudi 19 novembre,salle Oséte, nous avons rencontré Pierre-Yves Sérinet, politologue spécialisé en économie politique internationale et mouvements sociaux.

Pierre-Yves Serinet travaille depuis plus de 20 ans au sein de coalitions et réseaux sociaux multi-sectoriels qui luttent, au Québec et sur la scène internationale, pour la construction d’un modèle socio-économique plus juste et équitable. Il a en particulier été étroitement impliqué dans diverses luttes contre les accords de libre-échange et les privilèges que ce modèle accorde aux entreprises transnationales aux dépens des droits et de la souveraineté des peuples. Il coordonne actuellement le Réseau québécois sur l’Intégration continentale (RQIC), une référence au Canada de la nécessaire articulation des divers secteurs de la société pour sortir du modèle du libre-échange et bâtir collectivement un paradigme distinct qui remette l’économie au service des gens, dans le respect des droits des peuples et de la nature. Il fera une intervention au Parlement européen dans le cadre d’un Forum thématique organisé par les groupes de gauche, nous lui avons posé quelques questions.

1 - Peux tu nous expliquer où en est l’accord CETA entre le Canada et l’Union Européenne ?

Il n’a pas encore été signé, quoiqu’on veuille nous faire croire (même les député-e-s de l’Assemblée nationale que j’ai rencontrés la semaine dernière en sont convaincu). Les opérations médiatiques des promoteurs de CETA ont fait leur effet, apparemment, relayées par les médias, en l’occurrence l’entente de principe annoncée en octobre 2013, l’annonce de la conclusion des négociations le 26 septembre 2014 (l’année entre les deux, ils ont continué de négocier, en catimini) qui a été accompagnée de la publication du texte, sous la pression populaire (texte déjà fuité au début août 2014).

Depuis septembre 2014, plus rien. Mais on sait plutôt que tout est en suspend, à cause du débat sur l’Investisseur-État dans le TAFTA (RDIÉ ou ISDS). On nous dit toutefois qu’ils sont en période "nettoyage légal" et traduction. Au moment où on se parle, ils sont toujours en révision légale et ils n’ont pas encore commencé la traduction (qui prendra au moins 6 moins + 3 de révision de la part des États membres côté langue).

Le ISDS continue à causer problème, car pour le moment, la proposition de la Commission européenne ne s’applique qu’au TAFTA. Nous avons plusieurs indications que la CE a déjà soumis sa proposition de réforme au gouvernement canadien, nouvellement élu (les libéraux ont remplacé les conservateurs). On ne sait pas encore quel sera sa réponse. Il reste que pour nous, rien ne justifie l’ISDS, réformé cosmétiquement ou pas, et qu’il doit être retiré du CETA.

L’inconnue : quand le CETA sera-t-il signé (mais comme la croyance populaire est qu’il est signé, la Commission européenne pourrait bien contourner l’exercice, idem au Canada), et surtout quand sera-t-il présenté au Parlement européen pour ratification.

2 - Ou en est la mobilisation au Canada ?

Le nouveau gouvernement canadien s’est engagé à tenir "un débat public approfondi et ouvert" sur le Partenariat transpacifique "de sorte que les Canadiennes et Canadiens soient consultés", un autre accord avec lequel on est au prise et dont l’entente de principe a été annoncé le 5 octobre dernier. Nous tâchons de nous assurer que la consultation publique vise aussi le CETA, et qu’elle soit signifiante et permette des recommandations qui mènent à des corrections.

3 - Qu’est ce que le RQIC ? Peux tu nous parler de mouvements sociaux au Canada ?

Le RQIC est l’expression même d’une stratégie de résistance et de formulation d’alternatives au libre-échange, via l’importance de l’articulation des divers secteurs sociaux (la multisectorialité) et le travail en coordination avec des alliés au-delà des frontières. Aujourd’hui, deux angles préoccupent le RQIC : la nécessité de mieux ancrer l’articulation de la problématique du libre-échange avec l’austérité (qui mobilisent tous les secteurs sociaux au niveau national) et avec la lutte au changement climatique (dans un contexte croissant de préoccupation citoyenne face aux défis environnementaux).

Voici un descriptif plus général du RQIC, qui est aujourd’hui le réseau multisectoriel le plus ancien dans les Amériques :

Le Réseau québécois sur l’Intégration continentale (RQIC) est une large coalition sociale multisectorielle qui regroupe plus de vingt organisations sociales nationales du Québec, provenant des milieux syndicaux, communautaires et populaires, étudiants, environnementaux, de femmes, de droits humains et de développement international. Créé il y a 30 ans dans la foulée des négociations de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) au milieu des années 1980 suivies de celles de l’ALÉNA, le RQIC s’est imposé comme un interlocuteur central de la société civile québécoise en matière d’intégration économique et de commerce international. Co-fondateur de l’Alliance sociale continentale (ASC), le RQIC a été un chef de file de la lutte contre le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) aux côtés de ses réseaux partenaires sur le continent, forts de la construction collective de la plateforme des Alternatives pour les Amériques. Depuis la déroute de la ZLÉA, le RQIC poursuit sa lutte contre le modèle de libre-échange et le régime international d’investissements, s’attaquant tour à tour au Partenariat sur la sécurité et prospérité de l’Amérique du Nord (PSP), à l’Accord économique et commercial global (AÉCG / CETA) entre l’Union européenne et le Canada depuis 2010, et au Partenariat transpacifique (PTP) depuis 2013. Les organisations membres du RQIC représentent plus d’un million de personnes au Québec.

4 - A travers la bataille contre la privatisation de la gestion de l’aéroport, nous avons été amené à faire connaissance de la société Lavalin, des gens peu recommandable surement. Peux tu nous en dire plus sur cette société ?

En quelques mots, SNC-Lavalin est une firme de génie-conseil québécoise, très présente dans le secteur de la construction, qui s’est internationalisé depuis plusieurs années déjà. Elle est actuellement impliquée dans plusieurs scandales de collusion et de corruption au Québec, en particulier autour d’un projet de méga-centre-hospitalier à Montréal.